L’autre jour, j’ai lu :
« Ma résolution était prise : pour obéir aux ordres du médecin, j’obligerais mon père à prendre au moins une demi-heure de repos. N’était-ce pas mon devoir ?
Au même instant, mon père essaie de gagner le bord de son lit et de se lever. Une vigoureuse pression de ma main sur son épaule l’en empêche, tandis que d’une voix forte et impérieuse, je lui ordonne de ne pas bouger. Tout d’abord terrorisé, il obéit, mais presque aussitôt après il s’écrie :
– je meurs !
Et il se dresse. Epouvanté à mon tour, je laisse mon bras se détendre, et voilà mon père assis au bord du lit. Nous sommes face à face.
Je pense que sa colère s’accrut alors du fait qu’il me trouvât devant lui pour le gêner, ne fût-ce qu’une seconde de plus, dans ses mouvements. Il dut avoir l’impression qu’en me tenant debout ainsi devant lui, assis, je lui ôtais jusqu’à l’air dont il avait besoin. Au prix d’un effort suprême, il arriva à se mettre debout; il leva la main le plus haut qu’il put, comme s’il se fût rendu compte qu’il ne pouvait lui communiquer d’autre force que celle de son propre poids, et il la laissa retomber sur ma joue. Puis il glissa sur le lit et du lit sur le parquet. Mort ! »
Italo Svevo, La Conscience de Zéno (1923)
Il est drôle de lire dans un livre ce qu’il y a 16 ans j’ai vécu, un peu différemment, quand mon père est mort.